mercredi 4 avril 2012

L'illusion de gratuité - partie 2/2

suite de la première partie...

2. L'illusion de gratuité
Que représente l'argent aujourd'hui ? On voudrait nous faire croire qu'il est la juste récompense de nos efforts, le fruit de nos labeurs, nos larmes et nos sueurs ? Comment expliquer dans une telle logique naïve et hypocrite l'énorme abysse qui sépare les riches des pauvres ? Le mérite ? Allons, cela fait longtemps que nous avons cessé d'essayer d'y croire. Mais de la même manière, ne nous laissons pas avoir par ce fruit empoisonné qu'on nous offre à chaque coin de rue. Nous faire croire que nous pouvons vivre dans un monde « gratuit » est une pure fantaisie à une échelle macro-économique. Que veulent-ils au juste ? Nous acheter ? Nous amadouer ? Nous endormir ? Ne soyons pas dupes le sournois s'habille de transparence et l'hypocrite d’honnêteté, dans le doute nous pouvons toujours rêver mais plus le sommeil s'étend et plus la conscience s'éteint.
La fabrication d'un produit, tel qu'il soit, a un coût. Il a un coût en matière première, en main-d’œuvre, en conception principalement. La délocalisation n'empêchera pas à l'objet d'être le fruit d'un travail, la production en méga-série non plus. Tout objet créé est l’œuvre d'un agent extérieur, que ce soit la nature ou l'homme, ou encore l'homme à travers ses machines. Bien sûr, un échantillon gratuit signifie que le consommateur n'a pas à payer pour l'acquérir, ceci étant il a une valeur certaine. De même certains collectionnant des séries d'objets dits gratuits qui sont offerts avec l'achat de produits de consommation standards peuvent aller jusqu'à débourser de grosses sommes pour un objet qui n'a pas de prix. Mais l'inévidence ne se manifeste pas principalement dans l'objet palpable. Maintenant nous vivons dans l'ère numérique, l'ère du service, l'ère virtuelle et c'est avec son avènement et la dématérialisation de notre rapport au monde que la valeur des choses se perd dans un flou économique plus ou moins voulu.
Mais peut-on réduire la gratuité à l'absence de paiement ? Non. Quand il n'y a pas d'argent en jeu un échange procède du don. Je peux donner mon sang parce que personne n'a du payer avant pour créer la matière qui le constitue. La nuance est subtile (c'est son essence) mais un objet gratuit n'est pas donné, il est offert (en considérant qu'offrir suppose l'acquisition préalable de l'objet). L'induction malencontreuse consiste à croire que puisque je ne paie pas un service ou un bien, personne ne le paie. Idéal communiste ou piège capitaliste ? C'est plus compliqué que cela.

Dématérialisation
La dématérialisation entraîne une dé-responsabilisation, une distanciation du service. Dans un monde matérialiste à la fois au sens social mais également ontologique l'objet en tant que matière incarne la référence, de sorte que ce qui n'est plus palpable n'est plus valable. A force, l'imperceptible devient sans valeur, gratuit. Le boîtier de connexion est payant mais l'internet est gratuit. Le téléphone est payant mais les communications sont gratuites. Le disque d'un artiste est payant mais son contenu est gratuit. L'erreur est grossière mains communément répandue. D'un autre côté, il faut bien renvoyer la pierre à celui qui nous la jette. En attribuant de la valeur à des choses qui n'existent pas physiquement et en spéculant dans le vide, ce n'est pas étonnant que la valeur des choses chute à ce point. Ce n'est pas parce qu'il est difficile ou inimaginable de mesurer sa valeur qu'internet n'en a pas, d'un point de vue économique (sans entrer dans des considérations sur la nécessite du progrès, du savoir, du lien social...). Là où la gratuité est dangereuse c'est qu'elle dissout l'importance des répercutions qu'un objet, un bien, un service peut avoir sur son milieu. La gratuité peut se révéler l'excuse, l'alibi. Personne n'est coupable mais tout le monde est fautif. Payer une chose implique le sujet, le rend acteur, le pose dans une certaine position. Ne pas payer c'est délaisser ce lien qui peut unir l'objet et son non propriétaire. Cette chose étant gratuite, elle n'est à personne et personne n'en est responsable. Les ressources naturelles sont d'une valeur inestimable, certains pourtant croient toujours qu'elles sont gratuites, et si la Terre appartient à tous, certains sont néanmoins davantage responsable quand ils la souillent et la détruisent.

Gratuité et Démocratie ?
Les quotidiens gratuits distribués aux sorties des métros semblent être un pas vers la démocratisation de l'information. Mais en quoi est-ce une prise de pouvoir par le peuple davantage que la télévision ? Le support est différent, il est cette fois justement matériel, mais l'objet n'est pas fondamentalement révolutionnaire. La démocratisation de l'information suppose en effet en partie une plus large diffusion de celle-ci, il est pourtant illusoire d'amalgamer la gratuité avec celle-ci. Pourquoi ? De quelle gratuité parlons-nous ? De journaux quotidiens historiques qui ont toujours été payants ou de substituts développés avec le concept ? L'idée de quotidiens qui deviendraient gratuits est évidemment alléchante, mais ce qui existe aujourd'hui est différent. Ce ne sont pas les mêmes contenus, dans la quantité comme la qualité. Oui l'information doit être partagée par tous mais ce genre d'initiative ne prend-il pas le risque (conscient ou même voulu?) de creuser l'écart social qui existe entre deux catégories de lecteurs ? Le principe démocratique s'applique dans l'idée que tout le monde paye la même chose pour avoir les mêmes droits. Nous en sommes malheureusement loin de manière pratique.


3. Sans or on s'en sort !
Avec la flambée des prix, de l'hypothétique coût de la vie émergent différents concepts de gratuité qui s'opposent. Tandis que certains voient dans l'argent une nécessité absolue, la gratuité est pour eux une manière d'arrondir les fins de mois pour ne pas avoir à dépenser tout l'argent qu'ils pourront gagner : des échantillons aux offres promotionnelles, jeux consommateurs... D'autres peuvent aussi remettre en cause le système financio-centrique dans lequel on vit et considérer non pas la gratuité comme quelque chose de supplémentaire mais d'élémentaire ! Le pragmatisme nous rattrapant toujours il faut avouer que ce qui constitue plus une idéologie philosophique n'est pas non plus sans résultats. Peut-on vraiment échanger sans régulation économique ou monétaire ?
L'échange existe et est à la base même de l'économie et de la société. Mais il semblerait que plus on reçoive et moins on donne. Cependant si il y a bien une gratuité à défendre c'est celle du troc, de l'échange volontaire détaché de système monétaire. D'une manière symbolique déjà car c'est la preuve d'une volonté de certains de s'affranchir des symboles de l'argent. La véritable gratuité est le don de soi, de son temps, de son savoir.
Un objet a toujours une valeur d'usage et on oublie trop souvent la dimension historique d'un objet pourquoi ? Les nouveaux objets font l'histoire sans en faire partie, ils n'ont pas le temps d'entrer dans le présent qu'ils sont déjà passés, ceci évidemment en raison d'un système de production effréné. Tenons bon ! On voudrait nous faire croire que nous avons un besoin illimité d'objets mais la logique la plus élémentaire nous montre à quel point cette idée est absurde.
Une zone de gratuité est un endroit où chacun peut déposer un objet et/ou en prendre un. Mais rien ne l'oblige à prendre pour donner ou donner pour prendre. C'est finalement un pas de plus vers l'émancipation de l'objet et de l'argent que le troc n'avait pas réussi à franchir. En plaçant les valeurs des objets les uns par rapport aux autres ils font perdurer l'idée de comparaison et de valeur marchande, tout en effaçant ce qui pourrait être la valeur « propre » d'un objet, mais qui est en fait complètement subjective. Un ami m'a dit un jour qu'une bonne affaire se concluait quand le vendeur et l'acheteur étaient tous deux satisfaits du prix perçu/émis pour l'échange. Personne n'a les mêmes valeurs, personne n'a les mêmes besoins, les mêmes envies que son voisin. Un objet insignifiant peut combler une personne gratuitement et rendre quelqu'un indifférent, même si celui-ci y a mis le prix. Ceci est d'autant plus vrai avec les œuvres d'art et le marché contemporain qui est complètement dominé par l'argent. Qu'est-ce qui distingue un bon artiste d'un artiste médiocre ? Le premier coûte cher...

Finalement chacun fixe la valeur des choses qu'il utilise, comme on dit « tant qu'ils trouvent des cons pour payer ». Ce qui n'est pas dit c'est que c'est la même chose avec le gratuit, tant que les gens accordent de la valeur aux choses, alors les choses ont de la valeur, qu'importe le prix. La question est de savoir quelle valeur accorder à tous ces objets, gratuits ou excessivement chers ? C'est nous qui décidons par nos actes trop souvent inconscients.

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