La culture chinoise si particulière
pour nous, occidentaux, l'est en de nombreux points. Un des premiers
est la langue qu'elle soit parlée ou écrite. La particularité des
caractères chinois (et des langues de la même famille) réside dans
le système de représentation des concepts et idées qui sont
directement représentées dans leurs formes écrites, totalement
indépendantes du système de phonétique qui s'y rattache. Plus
qu'un point anecdotique c'est véritablement là que réside toute la
richesse de la langue de Lao Zi et de Kong Fu Zi (Confucius). Notre manière
de penser, de voir, de concevoir si elle dépend au plus de notre
manière de parler et d'écrire, au moins elle en est largement
influencée. Apprendre le chinois (comme la plupart des langues par
ailleurs) ne se résume pas simplement à l'apprentissage d'un
système phonétique, graphique, d'une syntaxe et d'un vocabulaire
mais il s'agit de s'approprier une logique, une vision, un rapport
aux choses différents des nôtres et si une fois encore cela peut en
faire la difficulté c'est aussi et surtout là tout l'intérêt...
Les idéogrammes sont donc des dessins,
autrefois plus explicites, aujourd'hui stylisés qui sont formés de
d'éléments, représentations symboliques de base qui suivant leurs
combinaisons signifient telle idée ou tel concept. Il n'existe pas
de lettres ni d'alphabet mais pour écrire les milliers de caractères
dont cette langue est constituée, le chinois n'utilise que quelques
points et traits élémentaires dans leur principe mais sur lesquels
repose tout l'art et la difficulté de la calligraphie chinoise.
Des pictogrammes rupestres bruts,
lourds qui figuraient le monde tel qu'il apparaissait, la langue
chinoise s'est construite en associant des images, des concepts, des
notions, des idées pour former les idéogrammes dont les lignes de
plus en plus épurées, douces et rapides ont fini par former après
de siècles les caractères utilisés aujourd'hui. Toutefois il
serait faux de négliger la phonétique dans un système de
communication tonal qui accorde énormément d'importance à la
musicalité de la langue. Les sons ne sont pas directement transcrits par les
idéo/phonogrammes mais sont fortement associés, à tel point que la
chauve-souris
traduite par le caractère
蝠
est
un porte bonheur
福
car
les deux caractères se prononcent de la même manière « fu ».
La
calligraphie n'est pas le simple art d'écrire des mots avec une
certaine qualité esthétique. C'est l'invocation de tous nos sens,
de tout notre corps dans un mouvement, dans une dynamique
particulière. Le pinceau du calligraphe ne se contente pas de
transposer un langage, il développe un langage second, à travers la
langue. De la même manière que nos gestes, nos expressions du
visage peuvent trahir sinon traduire une intention, un désir caché,
une attitude, le calligraphe apprend à lire et écrire au delà des
mots, dans les formes, les lignes, l'espace de la feuille de papier.
Dans le film Hero de Zhang Yimou,
l'image poétique du guerrier trahi par son écriture n'est pas
absurde, elle démontre de la véritable appropriation de l'art par
l'artiste, car il s'agit bien de cela. L'artiste calligraphe qui se
maîtrise, maîtrise son esprit puis son corps, sa main et son
pinceau nous présente dans chaque œuvre sa vision du mot, du
caractère. Il interprète véritablement l'idée qu'il développe en
lui donnant de la force ou de la douceur, de la prestance ou de la légèreté en même temps que ses coups transmettent ses humeurs,
ainsi il peut très bien écrire le caractère « force »
avec beaucoup de douceur, dévoilant un aspect presque caché,
mystique d'une idée mise à nue.
La calligraphie est souvent associée
à la poésie, en effet comme nous venons de le voir ces deux
disciplines s'appliquent à mettre en perspective les visions du
monde qui pourraient n'être évidentes de prime abord, elle traite
de symboles, c'est à dire que le sens dépasse l'image.
L'apprentissage de la calligraphie est une longue entreprise
personnelle qui repose sur de la discipline et de la patience et à
mesure que l'artiste découvre la magie des mots il se découvre
lui-même, par la technique qui ne se résume pas seulement à la
tenue du pinceau mais aussi à la position du corps, à la
respiration ; par la rigueur dans l'utilisation du matériel,
la préparation de l'encre et l'organisation d'une séance qui
s'apparente à un rituel. L'art du « trait » plus que
l'art des mots est alors plus qu'une simple activité divertissante
c'est une philosophie, une manière d'aborder le monde, l'existence
qui peut s'inscrire dans la tradition taoïste ou confucianiste, dans
tous les cas c'est un véritable reflet de la pensée chinoise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire