jeudi 6 mars 2014

Éthique et radicalité. La rigueur instigatrice de normes.

La rigueur n'est pas l'acèse. La rigueur n'est pas l'austérité.

La rigueur est choisie comme l'est l'acèse, mais s'il y a un manque voire une souffrance parfois dans la rigueur, celle-ci n'est jamais la fin, contrairement à ce que se donne l'acèse comme but.
Le but de l'acèse est la souffrance, cette souffrance étant elle-même un moyen pour accéder à une autre fin comme la connaissance de soi, d'une réalité ou que sais-je...
La rigueur est souvent vue de l'extérieur comme une forme d'effort et de souffrance. C'est toujours parce qu'on voit dans l'autre, celui qui est plus rigoureux que soi, un effort qui nous semble impossible ou indésirable pour soi qu'on qualifie cette rigueur de souffrance involontaire et finalement d'acèse.
L'éthique a indéniablement à voir avec la peine et le plaisir et cherche à demander dans quel cas est-il préférable de renoncer à un plaisir pour éviter une peine ou dans quel cas est-il envisageable de subir une peine pour pouvoir profiter d'un plaisir. Qu'est-ce qui en vaut la peine ? Voilà la question.
Mais la rigueur bien qu'elle puisse s'accompagner, surtout au début quand on change ses habitudes, d'une certaine souffrance, ou plutôt d'un certain manque, d'un désir ou d'une frustration, celle-ci ne vise en aucun cas ces dernières.
L'acèse est-elle un sacrifice ? La rigueur pousse à mettre en avant des valeurs et effectivement à renoncer à certains biens ou plaisir au nom justement de ces valeurs. Mais il ne faut pas confondre et croire que la rigueur est le refus de tous les biens et tous les plaisirs. Car l'idéal acétique (très bien critiqué par le plus grand de tous les philosophes nihilistes) est exclusivement porté vers la peine et la souffrance tandis que la rigueur est un moyen, une méthode, une règle.
Pour autant cette règle si sévère puisse-t-elle être n'est pas l'austérité, car il peut y avoir de la rigueur sans austérité. La rigueur en soi est plus qu'une valeur, elle serait presque une vertu, encore que cela ne nous soit d'une grande importance.
La rigueur comme méthode éthique vise au contraire comme toute pratique éthique à éviter la souffrance, et si elle doit passer par une douleur ou un manque c'est pour éviter une douleur ou un manque plus grand. C'est ce que ne voit pas l'hédonisme contemporain que rien n'arrête. Tout, tout de suite et ici. La rigueur au contraire se fait mesure.
Il faut distinguer la souffrance (un mal profond, continu, croissant, s'inscrivant dans une certaine durée) des peines ou frustrations passagères, légères, possiblement liées au manque ou au désir mais qui s'estompent facilement. Ainsi si l'acèse vise une certaine souffrance, la rigueur l'évite en acceptant des moindres maux.
Là encore le désir ne se conçoit que dans une comparaison, dans une mise en perspective entre l'actuel et le possible. Mais la rigueur est aussi une manière de rejeter des possibles. C'est une façon de dire "si je suis rigoureux alors je dois considérer cette situation comme inacceptable".
L'acèse est personnelle. La rigueur éthique est tournée vers le groupe, elle ne concerne pas que l'individu car elle le pose aussi comme modèle. On peut être rigoureux pour soi seulement mais comment dans un tel mode de vie cette rigueur ne s'apparenterait-elle pas à une forme d'acèse ? C'est au fond le risque et la peur que suscite toute rigueur.
On peut facilement parler de fascisme de la rigueur, mais en nous situant à une échelle politique il faut parler d'austérité. L'austérité est une forme de rigueur institutionnalisée et donc imposée par le groupe sur l'individu. La rigueur au contraire part de l'individu et vise non pas à l'imposer mais à la proposer au groupe comme mode de vie, comme modèle, comme possible.
Végétarien-ne, décroissant-e, féministe, etc... dès que l'on se situe sur un plan éthique et politique en affirmant une position à travers un mode de vie, à travers des habitudes et un changement de comportement on est facilement décrit comme radical-e. Et l'argument souvent avancé qui ne tient pas deux secondes est celui de la mesure, du juste milieu, de l'évitement des extrêmes.
Pourtant si l'on veut être un minimum cohérent dans la vie quotidienne entre nos gestes et nos paroles, si par exemple on se dit être contre le sexisme, le capitalisme, l'industrie du nucléaire, l'industrie de la viande, le consummérisme, etc, etc... cela demande une certaine rigueur. La rigueur n'exclut pas les écarts, car la rigueur conçue comme règle est un guide de conduite, qui doit nous aider à nous repérer. Cependant si toute règle accepte plus ou moins des exceptions, pour que la règle continue d'être la règle il faut que ces exceptions se fassent rares et justifiées. Et puisque toute éthique vise sinon la perfection du moins le perfectionnement de soi, alors la rigueur doit pousser chacun-e à réduire encore davantage ces écarts.
Si je me dis écolo, comment justifier le fait par exemple d'utiliser autant ma voiture, de prendre l'avion, d'utiliser des appareils énergivores, de produire tant de déchets, etc... il semble alors cohérent d'adopter une règle d'amélioration de mes comportements. Seulement, si nous avons facilement tendance à qualifier un changement de comportement avec l'idée d'une attitude rigoureuse, cela n'est possible qu'à partir d'une certaine norme.
En effet la rigueur est toujours une norme qui se pose comme supérieure à la norme en place. C'est ainsi qu'il faut comprendre les comportements éthiques, notamment avec le végétarisme, qui cherchent à mettre en avant leur caractère normatif. Ainsi entendue, la notion de rigueur devient quelque chose de beaucoup moins contraignant, car elle ne fait que refléter un écart entre différentes habitudes, différents comportements.
De cette remarque il est à nouveau possible de différencier la rigueur de l'austérité, là où cette dernière a toujours un caractère temporaire et délimité. La rigueur se veut novatrice, elle cherche à instaurer un nouvel ordre.
Y a-t-il donc encore à sens à dire de quelqu'un qu'il est "trop" rigoureux ? Ou ne veut-on pas ainsi manifester du trop grand écart qui sépare la norme confortable et partagée par la majorité du comportement vertueux et reconnu comme tel mais tellement exigeant...

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