On
reproche souvent aux défenseurs de la cause animale leur méthode
qui consiste à montrer des images choquantes
d'élevages intensifs, abattoirs, de gavage... Ces images reflètent
pourtant la réalité brute et rappellent à la raison le caractère
véritablement sensible de la cause animale.
Sur
quelle base défendre les animaux non-humains ? La revendication
d'un droit animal, l'exigence de reconnaissance de leur souffrance et
plus généralement de leurs conditions de vie reposent sur des
principes éthiques, philosophiques. Quelles sont les fondations de
ces principes ? Doit-on se reporter à des valeurs morales ?
La pratique végétarienne, végétalienne, vegan peut se revendiquer
de plusieurs points de vue : religieux, éthique, sanitaire,
psychologique, politique, écologique... Ce que nous voulons aborder
ici est pourtant une question plus générale du statut de l'humain
qui depuis la tradition philosophique antique se pose comme un animal
doué d'une certaine raison. Notre tâche ici n'est pas de creuser un
fossé artificiel qui séparerait l'humain des autres animaux mais
bien de tenter de remettre en question cette suprématie de la raison
spécifiquement dans le rapport que l'homme entretient avec l'animal.
Ce qui est dérangeant pour dire clair est cette prétention à
vouloir exclure du domaine philosophique, éthique, moral la
sensibilité, l'affection car celle-ci semble ne pas avoir de poids
face à cette raison humaine qui fonde notre société cartésienne,
rationnelle, scientifique, logique. Ce qui doit être remis en cause
c'est l'idée qu'une prise de conscience de la cause animale ne
serait que raisonnement, logique, calcul d'un bien ou d'un mal. De
toute évidence la raison est un instrument qui doit nous servir à
cette prise de conscience mais la source de nos décisions, de nos
choix se trouve dans l'expérience sensible, dans la vision des
choses, dans le sentiment. Certes l'émotion est plus difficilement
exprimable, elle paraît être plus subjective, moins universelle
mais c'est pourtant le cœur de la conscience.
Comment
peut-on avoir conscience de l'oppression raciste sans connaître la
réalité historique de l'esclavage, de la ségrégation et toutes
les inégalités de droit ou de fait sans parler des crimes contre
les minorités ? Comment être touché par la cause féministe
sans faire l'expérience directe ou indirecte d'une femme battue,
violée, séquestrée, dominée, mariée de force ? Comment se
positionner contre la pauvreté, la misère, la précarité quand on
vit dans le luxe et la fortune ? La raison s'ancre toujours dans
l'expérience vécue ou rapportée. L'idée de la mort ne peut être qu'intellectuelle,
elle doit être vécue par la disparition d'un proche. L'idée de
l'amour ou de la compassion ne peut s'expliquer sans la vivre. Qu'en
est-il de la cause animale ?
Notre
société industrielle productiviste capitaliste à mesure qu'elle
réduit l'animal à de la matière première, certains parlent même
de « minerai », conserve malicieusement l'image de
l'animal sain et heureux. Cette image d'étiquettes de supermarché
fonde la conscience du consommateur et l'endort. Il ne peut y avoir
de véritable prise de conscience par la simple information textuelle
ou factuelle : 300.000.000. de tonnes de viandes consommées
chaque année dans le monde ? Et alors ? Les chiffres sont
rationnels, objectifs mais à quelle réalité renvoient-ils ?
Un consommateur pourrait connaître tous les chiffres concernant la
misère animale, le taux de mortalité, de maladies, les méthodes abattage, de gavage,... Tant qu'il se refuse de voir avec ses yeux
il ne peut être véritablement touché. Bien sûr montrer des images
violentes peut choquer, mais elles doivent choquer. Le lambda moyen
se cache derrière sa raison pour refuser la réalité sensible des
bêtes au profit de la sienne, sa réalité sensible du désir, du
goût (quand il y en a encore). On ne devient pas végétarien d'un
point de vue éthique par la réflexion pure. La réflexion découle
des impressions, découle du doute instauré par un choc, dérive du
sentiment de compassion, de sympathie ou de pitié qui naît de la
misère animale. À partir de là, oui la raison est utile et
nécessaire. La raison doit remettre alors en doute les acquis, les
connaissances ou simples croyances qui gouvernaient jusque là nos
actes.
La
raison encadre nos impressions, nos émotions, nos sentiments, nos
affections. Elle les met en mémoire également et nous les rappelle
quand c'est nécessaire. Il est facile d'oublier ce genre d'images
d'animaux qui se mangent entre eux, qui meurent piétinés les uns
par les autres car ce ne sont pas des images quotidiennes. Il faut
faire l'effort (intellectuel) d'aller regarder ces images. De la même
manière il est facile de tourner la tête quand on passe devant un
mendiant. Pourtant cette personne à genoux dans la rue est réelle.
La souffrance animale est réelle. La souffrance humaine est réelle.
On
peut et on doit militer pour toutes les causes et dans tous les
milieux avec des arguments logiques et rationnels car ils ont une
valeur de vérité indéniable. Si nous n'étions que des êtres
purement rationnels nous lutterions toutes et tous contre tout ce qui
ne nous semble alors pas logique.
Pourquoi chacun ou chacune s'investit donc dans telle ou telle
cause ? C'est évidemment que nous avons des vécus, des
expériences différentes, que nous sommes touchés par différentes
choses à différents moments de nos existences, de différentes
manières, à différentes intensités. C'est sans doute pour cela
qu'il faut attendre tristement un accident nucléaire en France pour
que la population soit enfin touchée et comprenne. Car sans ce lien
sensible à la réalité (les mines d'uranium au Niger ou les dégâts
de Fukushima) il est facile de se détourner et se voiler la face en
se disant : tout va bien...
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