dimanche 11 novembre 2012

Du sexisme grammatical

Le combat féministe qui vise à changer notre comportement et avec celui-ci nos habitudes de langage pose des questions cruciales sur le plan social et linguistique. La langue peut-elle changer d'une part, et être changée de manière si brutale, selon la volonté de certaines indépendemmant d'une évolution interne, propre ? Le langage reflète-t-il à ce point les rapports sociaux ? Dans quel sens ? S'il nous apparaît évident que notre comportement peut se lire à travers notre manière de s'exprimer, n'est-on pas tout autant déterminé en partie par celui-ci ? La féminisation des noms est-elle pour autant nécessaire ? La volonté de considération égalitaire est-elle judicieuse dans l'idée d'une différenciation davantage inscrite dans la langue ? Pourtant il est clair que laisser la place au masculin n'est pas mieux, sinon pire. La solution qui existe dans d'autres langues serait l'existence d'un genre neutre ou l'absence de genre grammatical. Une telle révolution est-elle envisageable, seulement souhaitable ou encore possible ? Invoquer les règles d'usage a bien ses limites dans la mesure ou il relève d'une tautologie, les règles étant toujours des règles d'usage et l'usage toujours définit par des règles. Ainsi il faut savoir qu'historiquement cette règle contre laquelle il serait légitime de se positionner aujourd'hui est le pur fruit arbitraire d'un académicien sexiste des siècles derniers.

Certaines pourraient défendre l'idée que ce n'est pas la priorité dans une lutte et que le risque est tel qu'elle pourrait cacher celle-ci, que les habitudes ne se changent pas, que la culture et le patrimoine seraient sous la tutelle d'on ne sait quelle instance sacrée. Il est également évident qu'indépendemment des langues où le genre grammatical est absent comme en anglais ou en chinois, ou favorable au genre féminin au pluriel comme en allemand, le patriarcat n'est pas plus reculé qu'il ne l'est en France ou ailleurs. La véritable gêne chez les conservateurs est le changement d'habitude au sens le plus strict. Même si la vérité dérange, bouscule, perturbe, il est préférable pour certaines de ne rien changer, ne rien tenter au risque de perdre des repères. Or si l'habitude est un genre de règle implicite à laquelle on répond de manière presqu'instinctive, elle ne s'inscrit dans aucune permanence définie et se caractérise en fait par son côté changeant. Les habitudes sont faites pour être changées.

La langue change, évolue et si sa complexité et sa richesse est souvent invoquée comme contre argument, il ne faut pas oublier qu'elles sont tirées de sa capacité à évoluer. Comme nous l'avons déjà dit un changement brutal et arbitraire est envisageable puisque c'est précisemment ce type de bouleversement qui a permis la mise en place d'une telle loi de dominatio du genre. Il est dès lors tout à fait légitime d'imaginer un retrait d'une telle loi au profit d'une loi plus logique comme il en existait auparavant, comme l'accord du terme le plus proche. Une idée rétrograde ? Non. Cet argument de paille est très vite dépassé, il est absurde de mettre sur un pied d'estal une loi par la seule raison de son âge ou antériorité. L'histoire a montré maintes et maintes fois l'absurdité de telles lois et comportements pourtant trop bien ancrés dans les moeurs.

La langue reflète complètement les rapports sociaux, car elle en est le véhicule principal. La question est alors de savoir jusqu'à quel point la langue est-elle importante, dans notre capacité à saisir le réel, le monde, les individus et les rapports que nous entretenons. On sait que le genre joue un rôle, que l'Allemand considère fémininement Die Sonne ce que nous voyons plus masculinement dans le soleil et inversement avec la lune (Der Mond). D'où est née ce besoin de genre grammatical ? Aucune réponse historique ne saurait être établie mais d'un point de vue social il ne peut découler que de la distinction de genre sexuelle qui oppose l'homme à la femme, le mâle à la femelle. Une table n'est pas plus féminine qu'un bureau et un lustre pas plus masculin qu'une lampe. On saisit alors dans nos langues tout le côté absurde d'une telle distinction. L'exigence d'égalité de considération est pourtant légitime dans les mises en scène de personnes humaines, où la domination masculine est clairement présente. L'exemple de la langue allemande ne saurait pour autant constituer un argument suffisant au titre que la forme du pluriel comme la forme de politesse est celle du féminin sie. Bien qu'il existe un genre neutre la distinction pour tous les termes désigant des hommes ou des femmes est faite selon les genres masculins et féminins Der Lehrer, Die Lehrerin (l'instituteur, l'institutrice), et la question grammaticale ne porte pas exclusivement sur le pronom déterminant. Il faut d'une part reconnaître que bien que cette domination dans le langage soit ancrée, elle n'est ni ancestrale, originelle et donc ni immuable, et d'autre part malgré son caractère innocent et puremment grammatical on ne saurait le détacher complètement de la transmission d'une vision sexiste. Encore une fois la langage ne fait pas tout et si une telle lutte est légitime elle n'est pas suffisante, malheureusement loin de là.

La volonté de distinction des genres n'a pas pour but de marquer la différence mais d'affirmer la reconnaissance d'une égalité, il ne saurait y avoir d'égalité sans reconnaissance de différence. Cette logique vaut pour le langage mais pour les salaires et toutes les conditions de vie inégales car dans un premier temps non reconnues par la classe et le sexe dominant. Il serait trop facile de passer par l'emploi d'un "neutre idéal" qui s'incarnerait dans la forme grammatical du masculin comme aujourd'hui. Bien que l'on dise il y a des fleurs sur la table le "il" n'est pas l'expression d'un masculin mais bien un neutre. Il ne serait pas moins logique d'imaginer alors le féminin grammatical comme base. D'un point de vue biologique nous nous constituons comme des êtres indifférenciés dans les premières étapes de formation de notre corps (qui n'est encore qu'un foetus) et c'est une hormone qui agit contre son propre corps et ce qui serait plus tard le sexe féminin pour dégénérer et donner lieu à un corps mâle. De même, contrairement aux idées reçues et contrairement aux règles de domination masculine, la grammaire nous montre que le sens est toujours porté d'abord par l'adjectif féminin, duquel découle l'adjectif masculin par un phénomène de raccourcissement. Ainsi grand comme adjectif n'a de sens sémantique qu'en rapport à son origine lexicale grande qui renvoit à l'idée de grandeur. Lorsqu'on comprend cette construction phonologique il apparaît évident que l'adjectif beau est en fait une simple déformation de bel (encore utilisé devant des noms commençant pas une voyelle) qui n'est lui-même qu'une abréviation de belle. Contrairement aux idées reçues le féminin n'est pas une complexification ou une extension phonologique arbitraire du masculin, sans quoi on ne pourrait tirer aucune logique d'un passage de frais à fraîche (fraische en vieux français), de doux à douce, de rond à ronde, etc... Le sens dans ces exemples est porté par les lettres muettes finales qui ne sont que la marque phonétique et sémantique de l'adjectif féminin. Que les soi-disant amoureux de la grammaire arrêtent donc de nous dire que le masculin est l'expression du genre indifférencié. Il faut marquer la différence sans oublier les enjeux de revendication égalitaire. Le langage n'est pas une entité autoritaire à laquelle nous devons nous soumettre, de même qu'il ne saurait exister une langue et une manière de nous exprimer, c'est avant-tout un moyen de communication et à travers, un terrain de lutte comme un autre.

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