Le
caractère chinois est une recherche de l'équilibre visuel, de
l'harmonie. Cette harmonie qui veut se lire dans l'encre est une
harmonie qui doit se lire depuis le mouvement du pinceau, qui découle
du geste du bras, guidé par l'esprit de l'artiste. Cette harmonie
esthétique est alors avant toute chose le fruit d'un travail de
longue haleine, de la rigueur et de la discipline dans leur forme de
persévérance. L'équilibre d'un
caractère repose sur l'équilibre des forces, du yin et du yang, du
vertical et de l'horizontal, du carré et de la courbe, du vide et du
plein. Il n'y a pas vraiment d'espace sur une feuille blanche tant
que celle-ci n'est pas maculée ne serait-ce que d'un point noir qui
vienne établir un contraste, une opposition de forces qui vienne
engendrer l'une comme l'autre.
Le pinceau
du calligraphe n'est pas le pinceau du peintre, il glisse sur la
feuille une seule et unique fois sans revenir en arrière. Ses pas
sont à jamais gravés. Il n'est pas non plus un simple intermédiaire
qui ne servirait qu'à apposer une couleur, il est la matière même
du trait, autant que l'encre ou le papier. Sans pinceau, sans sa
souplesse ou sa dureté, sa capacité à retenir l'encre et la
laisser couler il n'y aurait d'écriture.
La
calligraphie est vivante, elle ne cherche pas la ligne droite ou la
symétrie. L’œil de l'artiste et sa main donnent naissance à des
traits ascendants ou descendants, gauches ou droites qui diffèrent.
Elle vise un équilibre dans le mouvement, un équilibre dans le
déséquilibre. Le trait s'amincit et grossit. Il tourne, il monte,
il descend. Il suit son chemin, son dao.
La calligraphie en style herbes folles déstructure les caractères
et va marquer le mouvement à l'extérieur des traits. On comprend
alors que l'harmonie n'est pas la simple juxtaposition de traits les
uns à côté des autres mais est issue des relations qu'ils
génèrent. L'harmonie des traits naît autant des espaces qu'ils
comblent que des vides qu'ils remplissent. En comparant cette
esthétique à la musique Jazz, Miles Davis aurait dit : la
vraie musique est le silence, les notes ne font qu'encadrer celui-ci.
Finalement dans cette harmonie du noir et du blanc, du vide et du
plein peut-on dire que l'un joue un rôle plus important que
l'autre ?
Dans
la vitesse d’exécution les mouvements de liaison entre les
différents éléments constitutifs d'un même idéogramme
apparaissent avec l'encre et apportent une dynamique et une densité
au mot. La calligraphie chinoise est belle dans son imperfection.
Dans son inexactitude entre les traits, créant de minces différences
assez subtiles pour ne pas être choquantes et assez marquées pour
créer une dynamique d'attirance des traits les uns vers les autres.
La marque du pinceau laissant aux extrémités un contour aux traits
si particulier de cette écriture rappelle forcément la main de
l'homme et l'esprit qu'il y a derrière. Les traits gras soutiennent
les traits légers. Les traits fins soulèvent les traits plus
pesants. Certains caractères possèdent un rythme intérieur
constitué de traits horizontaux qui se répètent et dimensionnent
l'espace.
Je pense qu'un bon calligraphe comme un bon judoka, ou un bon
musicien est celui qui maîtrise suffisamment son art pour ne plus y
penser et laisser naturellement son corps agir. C'est un
apprentissage de l'esprit sur le corps, par le corps. Si les premiers
pas, les premiers points sont difficiles à exécuter les premiers
traits réussis suscitent le contentement. Comme toute pratique
artistique ou artificielle, non naturelle, la calligraphie demande un
apprentissage.
Le choix du pinceau est important. Ses poils doivent être assez
souples pour accepter les mouvements. L'encre doit être suffisamment
abondante pour s'échapper de la touffe et envahir l'espace qui lui
est offert. Le paradoxe fort amusant est de se dire que pour
maîtriser le pinceau il faut apprendre à ne plus le sentir, mais
l'incorporer au sens premier du terme, faire corps avec pour ne plus
ressentir que la feuille, l'encre, le vide, le geste. Avant de
chercher à maîtriser les gestes il faut les laisser aller par
eux-mêmes et observer leurs comportements, la manière de réagir du
pinceau, des poils, comment la position du coude, du poignet change
la précision d'un trait, la facilité de mouvement. On se rend
compte alors d'où vient la forme des traits et des points de la
calligraphie chinoise, ce sont véritablement les marques de chaque
mouvement du pinceau, les changements de direction, la vitesse, la
manière et l'ordre de tracer les figures. Si le pinceau est trop
sec, la main ne peut glisser, il faut suffisamment d'encre pour avoir
de la souplesse mais pas trop pour ne pas s'y noyer !
Répéter des centaines et des milliers de fois les éléments, les
caractères de base est la clé de la réussite, la maîtrise de cet
art. La régularité est la rigueur quotidienne, elle permet aux
subtilités quasiment indescriptibles d'émerger petit à petit avec
le temps et l'exercice. L'apprentissage du corps par la répétition
fait s'évader l'esprit et dans cette pratique lui offre cette
distance nécessaire à la préhension du corps justement.
Quand je trace plusieurs fois différemment (avec des techniques et
des approches différentes) un même caractère en tentant
d'atteindre un idéal d'esthétique, tous ces caractères veulent
dirent la même chose mais un seul sera particulièrement beau.
Pourquoi ? En raison de son harmonie interne, par l'harmonie
entre les traits à l'intérieur de l'espace, par l'harmonie de
chaque trait par rapport aux autres, par l'harmonie interne aux
traits selon son épaisseur. Ainsi il y a le goût esthétique lié
au style d'écriture qui concerne la forme des traits et celui qui
est lié à la technique et qui concerne les proportions et la
maîtrise d'un style.
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