mardi 23 octobre 2012

De la calligraphie chinoise 2 - 中国书法(二)

Le caractère chinois est une recherche de l'équilibre visuel, de l'harmonie. Cette harmonie qui veut se lire dans l'encre est une harmonie qui doit se lire depuis le mouvement du pinceau, qui découle du geste du bras, guidé par l'esprit de l'artiste. Cette harmonie esthétique est alors avant toute chose le fruit d'un travail de longue haleine, de la rigueur et de la discipline dans leur forme de persévérance. L'équilibre d'un caractère repose sur l'équilibre des forces, du yin et du yang, du vertical et de l'horizontal, du carré et de la courbe, du vide et du plein. Il n'y a pas vraiment d'espace sur une feuille blanche tant que celle-ci n'est pas maculée ne serait-ce que d'un point noir qui vienne établir un contraste, une opposition de forces qui vienne engendrer l'une comme l'autre.
Le pinceau du calligraphe n'est pas le pinceau du peintre, il glisse sur la feuille une seule et unique fois sans revenir en arrière. Ses pas sont à jamais gravés. Il n'est pas non plus un simple intermédiaire qui ne servirait qu'à apposer une couleur, il est la matière même du trait, autant que l'encre ou le papier. Sans pinceau, sans sa souplesse ou sa dureté, sa capacité à retenir l'encre et la laisser couler il n'y aurait d'écriture.
La calligraphie est vivante, elle ne cherche pas la ligne droite ou la symétrie. L’œil de l'artiste et sa main donnent naissance à des traits ascendants ou descendants, gauches ou droites qui diffèrent. Elle vise un équilibre dans le mouvement, un équilibre dans le déséquilibre. Le trait s'amincit et grossit. Il tourne, il monte, il descend. Il suit son chemin, son dao. La calligraphie en style herbes folles déstructure les caractères et va marquer le mouvement à l'extérieur des traits. On comprend alors que l'harmonie n'est pas la simple juxtaposition de traits les uns à côté des autres mais est issue des relations qu'ils génèrent. L'harmonie des traits naît autant des espaces qu'ils comblent que des vides qu'ils remplissent. En comparant cette esthétique à la musique Jazz, Miles Davis aurait dit : la vraie musique est le silence, les notes ne font qu'encadrer celui-ci. Finalement dans cette harmonie du noir et du blanc, du vide et du plein peut-on dire que l'un joue un rôle plus important que l'autre ?
Dans la vitesse d’exécution les mouvements de liaison entre les différents éléments constitutifs d'un même idéogramme apparaissent avec l'encre et apportent une dynamique et une densité au mot. La calligraphie chinoise est belle dans son imperfection. Dans son inexactitude entre les traits, créant de minces différences assez subtiles pour ne pas être choquantes et assez marquées pour créer une dynamique d'attirance des traits les uns vers les autres. La marque du pinceau laissant aux extrémités un contour aux traits si particulier de cette écriture rappelle forcément la main de l'homme et l'esprit qu'il y a derrière. Les traits gras soutiennent les traits légers. Les traits fins soulèvent les traits plus pesants. Certains caractères possèdent un rythme intérieur constitué de traits horizontaux qui se répètent et dimensionnent l'espace.
Je pense qu'un bon calligraphe comme un bon judoka, ou un bon musicien est celui qui maîtrise suffisamment son art pour ne plus y penser et laisser naturellement son corps agir. C'est un apprentissage de l'esprit sur le corps, par le corps. Si les premiers pas, les premiers points sont difficiles à exécuter les premiers traits réussis suscitent le contentement. Comme toute pratique artistique ou artificielle, non naturelle, la calligraphie demande un apprentissage.
Le choix du pinceau est important. Ses poils doivent être assez souples pour accepter les mouvements. L'encre doit être suffisamment abondante pour s'échapper de la touffe et envahir l'espace qui lui est offert. Le paradoxe fort amusant est de se dire que pour maîtriser le pinceau il faut apprendre à ne plus le sentir, mais l'incorporer au sens premier du terme, faire corps avec pour ne plus ressentir que la feuille, l'encre, le vide, le geste. Avant de chercher à maîtriser les gestes il faut les laisser aller par eux-mêmes et observer leurs comportements, la manière de réagir du pinceau, des poils, comment la position du coude, du poignet change la précision d'un trait, la facilité de mouvement. On se rend compte alors d'où vient la forme des traits et des points de la calligraphie chinoise, ce sont véritablement les marques de chaque mouvement du pinceau, les changements de direction, la vitesse, la manière et l'ordre de tracer les figures. Si le pinceau est trop sec, la main ne peut glisser, il faut suffisamment d'encre pour avoir de la souplesse mais pas trop pour ne pas s'y noyer !
Répéter des centaines et des milliers de fois les éléments, les caractères de base est la clé de la réussite, la maîtrise de cet art. La régularité est la rigueur quotidienne, elle permet aux subtilités quasiment indescriptibles d'émerger petit à petit avec le temps et l'exercice. L'apprentissage du corps par la répétition fait s'évader l'esprit et dans cette pratique lui offre cette distance nécessaire à la préhension du corps justement.
Quand je trace plusieurs fois différemment (avec des techniques et des approches différentes) un même caractère en tentant d'atteindre un idéal d'esthétique, tous ces caractères veulent dirent la même chose mais un seul sera particulièrement beau. Pourquoi ? En raison de son harmonie interne, par l'harmonie entre les traits à l'intérieur de l'espace, par l'harmonie de chaque trait par rapport aux autres, par l'harmonie interne aux traits selon son épaisseur. Ainsi il y a le goût esthétique lié au style d'écriture qui concerne la forme des traits et celui qui est lié à la technique et qui concerne les proportions et la maîtrise d'un style.

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