Au delà de l'écriture
les graffitis représentent, telle la calligraphie, un art qui
dépasse la simple transcription des mots. Là où la poésie a comme
support l'écrit et l'idée transparaît à travers le mot, c'est le
mot qui est le support et l'écrit est l'idée. N'allez pas
comprendre que les graffitis n'ont aucun sens, mais au contraire,
comme en fait n'importe quel signe dans son contexte, ce sont
plusieurs significations que nous devons voir à travers et au-delà
des images elles-mêmes.
Un graffiti est alors
d'abord une véritable recherche esthétique dont les seules
contraintes s'apparentent aux conventions alphabétiques. A travers
une riche créativité sont apparus des styles divers et variés
représentatifs de modes culturelles aussi bien influencées par
l'architecture, le design, les arts plastiques et également la
typographie, discipline étroitement liée. La matière première de
l'artiste n'est pas la peinture, le mur ou le mot : c'est la
lettre. Des traits fondamentaux suffisants et nécessaires à la
reconnaissance d'un « A », triste, morne statue
inexpressive nous pouvons dégager une dynamique, un déséquilibre,
un mouvement, une profondeur, une force, une attirance, une vie. Sur
le papier, les mains de l'artiste font glisser la pointe du feutre
des milliers de fois jusqu'à obtenir la forme parfaite, originale,
maîtrisée. Sur un carnet ce sont des centaines et des milliers de
répétitions d'un même signe, une lettre ou même un simple point.
Similaire à la pratique de la calligraphie chinoise c'est une
véritable recherche disciplinaire, rigoureuse. Le crayon marque les
feuilles les unes après les autres jusqu'à la forme « parfaite »
harmonieuse, cohérente avec les autres, dont le mouvement original
doit néanmoins disparaître derrière la qualité d’exécution.
Puisque écrire est avant tout transmettre un mouvement, une
dynamique à de l'espace c'est la persévérance du corps qui est
visée. Travail d'équipe entre l’œil et la main, trouver le bon
signe c'est chercher le bon geste. Face au mur, les lettres prennent
des dimensions décuplées et les traits se courbes, se délient,
s'épaississent ou s'affinent, se rejoignent en laissant naître des
espaces et des volumes qui ne tardent pas à se remplir de couleurs
et de motifs. La force d'un graffiti réside en partie dans ce
paradoxe soulevé par les lettres. Elles qui doivent servirent le
mot, le mot qui doit servir la phrase et la phrase le texte, les
lettres n'ont a priori qu'un rôle figuratif. Avec le graff' elles
prennent les devants de la scène parées des plus beaux costumes,
endossant le premier rôle et réclamant le titre de vedette !
Trop souvent dénigrée, cette pratique artistique acquiert de plus
en plus de crédibilité à mesure que l'art moderne s'ouvre et que
les artistes de rue passent les portes de certaines galeries tandis
que d'autres artistes plus « classiques » prennent l'air.
Ne faisons pas pour autant d'amalgame grossier entre deux mondes qui,
bien qu'ils se répondent, ne se confondent pas.
Ce rapport à l'écriture
est symboliquement très fort. Il manifeste d'une volonté créatrice
déterminée à faire du beau de ce qui est commun et comment lui
rejeter l'appartenance au genre « artistique » alors que
ce moyen d'expression répond comme toute autre forme à des
contraintes bien définies ?
Ce qui dérange évidemment
est l'appropriation de l'espace public et ce qui s'apparente à de la
dégradation. Il faut comprendre cette pratique dans son évolution
historique liée à une critique de la société, notamment des
ghettos et d'une urbanisation sans âme. L'art n'est-il pas surtout
une protestation contre la société ? Sans quoi, la recherche
esthétique serait une fin en soi. Par la manifestation de leur
présence les communautés de graffeurs visent la reconnaissance de
leur existence et l'affirmation de leur identité propre comme ce que
cherche à faire chacun de nous à son échelle. Cette reconnaissance
n'est sans doute effective que dans un milieu, mais exister n'est-ce
pas forcément exister dans un monde ? Et comme dans n'importe
quel domaine artistique il existe le monde des artistes de rue. En
quoi la reconnaissance par des pairs est-elle différente dans la
rue ? Il y a de toute évidence une provocation dans l'acte
nécessaire à la production : à qui appartient la ville ?
A-t-on choisi de se voir affligés de toutes ces panneaux
publicitaires ? De toutes ces vitrines et ces enseignes ?
Qu'est-ce qui dérange ? L'appropriation des conventions
d'écriture, symbole des conventions sociales et culturelles ?
A-t-on peur de ça ? C'est justement ce qui est revendiqué :
sortons des sentiers battus ! Soyons imaginatifs, créatifs,
actifs et maîtres de notre ville, de notre espace vital.
La rue est le meilleur
endroit pour faire de l'art, si nous acceptons la définition de
l'art comme une ouverture sur le monde, une rupture des conventions
et des clichés. En quel autre endroit pourrait-il être mieux logé ?
L'art est révolte silencieuse et pour être efficace elle doit se
faire dans la rue, dehors, au grand jour et ne pas restée
cloisonnée, enfermée, enchaînée. L'art d'aujourd'hui cherche à
être spontané, accessible et populaire. L’œuvre n'est pas la
même sans son contexte, son environnement. Certains artistes
américains du mouvement Pop Art nous l'ont clairement montré avec
leurs sculptures géantes (Oldenburg) qui n'auraient ni la place ni
la force qu'elles ont maintenant si elles se trouvaient dans un
musée. Comment enfin ne pas admirer l'humilité de ces artistes de
rue qui inscrivent leurs travaux dans le moment. En effet, chaque
production murale est amenée à être recouverte, parfois aussi
rapidement qu'elle n'aura été découverte et le caractère éphémère
d'un tel travail ne peut que renforcer l'estime que l'on peut avoir.
L'art pour l'art ou simple marque de pragmatisme face au bruit
incessant de la société dans lequel nous sommes noyés ? Avec
les graffitis non seulement nous crions notre désir d'exister, mais
nous le crions haut et fort, en formes et en couleurs !
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